dimanche 8 avril 2012

jeudi 5 avril 2012

Jour 77


Jour 77   Tempêtes et accalmies dans la réserve du Chitwan

Nous avons subi la tempête de sable dans le désert de Thar, la grêle, la pluie et la neige dans le trek de l'Annapurna et voilà t'y pas qu'hier ce fut l'orage en règle dans notre refuge de la jungle. L'humidité s'accumulait sous la chaleur torride des quarante-deux degrés Celsius qui nous accablait depuis plusieurs jours. Et le vent s'est levé vers la fin de l'après-midi, et plus encore au point où le proprio faisait ramasser tous les coussins des chaises et les nappes et les chaises mêmes. Le ciel s’assombrissait au point où il faisait presque noir à 17 h. Les éclairs et le tonnerre s'en donnaient à boum joie, et la grêle alouette et les trombes de pluies qui claquaient à nos fenêtres. Cela a duré toute la nuit.

Un splendide spectacle, moi qui adore les orages. Les touristes coincés dans la jungle l'ont trouvé moins drôle. Quel contraste cette nature furieuse avec celle qui prévalait lors de notre expédition en pirogue d’il y a deux jours. Elle aussi fut magnifique. Le soleil du petit matin, tout de rouge vêtu, perçait à peine la brume qui nous enveloppait. La rivière s'étirait devant nous tel un long ruban tantôt virant à droite, tantôt à gauche, tantôt de petits rapides, tantôt des eaux plus profondes. Le silence, si précieux ici, n'était perturbé que par les chants d'oiseaux et les échanges ornithologiques entre JC et notre guide. J'agissais comme interprète entre les deux, l'un prononçant à peine ses mots,
l'autre tout envoûté qu'il était dans son observation de la forêt ou de la savane, les jumelles bien collées aux yeux. Cela a duré près de trois heures continues, à part les quelques pauses pipi du guide.

Les paysages étaient surprenants. Ces immenses troncs d'arbres qui jonchaient les étendues de roches y avaient échoué à la dernière mousson. Le courant qu'il a fallu pour les y déposer donne une bonne idée de l'envergure du torrent. Ailleurs, un immense crocodile est bien installé sur la berge et pond son œuf. Tout près, un vieux couple surveille et attend le moment pour aller cueillir leur prochaine omelette.

Effarant! Notre glissade aquatique se poursuit au rythme du couvrant et des poussées de notre habile pagayeur.

Il m'est encore une fois difficile de décrire ce grand moment de paix. J'adore me promener sur l'eau, la sentir me glisser entre les doigts, humer son parfum de fraîcheur, me laisser bercer par le rythme de son courant, me faire ballotter dans ses courts rapides rocheux. Je suis dans mon élément. Une douce paresse coule dans mes veines. C'est un moment de bonheur.

C'est juré. Nous recommençons l'expérience. Pourquoi pas mettre deux boules sur mon cornet népalais; une délicieuse gourmandise non?

La jungle

La jeep qui nous plonge de plus en plus au cœur de cette jungle n'est pas tendre avec ses passagers. Les chemins de terre sont défoncés et ça brasse. Cette jungle n'a rien à voir avec celle du Belize ou du Chiapas. Celle-ci était dense, à n'y rien voir à cinq mètres, embrouillamini extraordinaire de larges feuilles, de fougères, d'herbes géantes, d'arbres énormes et de lianes. Que du vert! Ici la densité n'est plus là, on y voit facilement à vingt mètres et plus. C'est la saison sèche, les longues herbes ont pratiquement disparues, les fougères aussi. Une grande partie des arbres voient leurs feuilles jaunir et tomber. La poussière soulevée par les véhicules se dépose sur les végétaux. Nous traversons de longs espaces qui ont brûlé au sol, pour régénérer nous dit le guide. À certains endroits ça fume encore, ce qui est loin d'être un atout pour apercevoir des animaux.

Pourtant, des animaux il y en a: tigres, rhinocéros, ours lupus, cerfs, singes, oiseaux de toutes sortes, dont des paons et des coqs sauvages. Nos compagnons de jeep sont un couple de jeunes libanais dont le type à passé six mois à Montréal dans une école de design, et un américain de l'Iowa qui pose sans arrêt des questions stupides à notre guide, des questions qui nous rappellent celle de Max, à trois ans: "papa, il y a combien d'arbres sur cette montagne?".

Trois heures de promenade cahoteuse nous permettent de voir plusieurs cerfs, des singes et surtout deux rhinocéros, des vrais, en chair et en os. Les tigres sont plus loin, en plein cœur de la jungle, et les ours lupus, mieux vaut ne pas trop en voir: notre guide nous a montré la blessure impressionnante qu'il a au mollet droit, gracieuseté d'un de ces ours qui, décidément, n'aiment pas trop les humains. Il s'en est sorti par miracle et a une jambe amochée pour la vie. Il nous a raconté aussi son face à face avec un tigre du Bengale, un duel de regard qui a duré une vingtaine de minutes, une éternité, et que le passage d'un cerf a clôturé: le tigre a préféré la proie à quatre pattes.

Les oiseaux pullulent dans cette jungle, même si nous ne sommes pas aux meilleures heures pour les apercevoir. Chemin faisant nous apercevons entre autres quelques marabouts dans leur nid et une vingtaine de paons majestueux aux couleurs chatoyantes.

Le lendemain, c'est à dos d'éléphant que nous pénétrons dans cette jungle. Une caravane de pachydermes, quinze ou vingt, chacun transportant au moins quatre touristes curieux et un cornac blasé. La promenade nous rappelle un certain bout de chemin fait à dos de dromadaires dans le désert du Thar, en Inde. Heureusement la forêt est plus propre ici car les bêtes ne génèrent pas de poussière, c'est plus dense aussi, nous ne sommes pas dans les basses terres ou la savane. Des coqs sauvages et des cerfs sont aperçus, ça et là, mais c'est surtout le rhinocéros qui se vautre dans une mare boueuse, se laissant admirer par les touristes, toujours aussi curieux, grimpés sur leur éléphant qui font la queue, qui sera le clou de la randonnée. En blague, nous nous mettons à la place du rhino et disons: "Tiens, 17h00, vite à la mare boueuse car les touristes vont arriver d'un instant à l'autre!" Une promenade qui fait un peu pas mal Walt Disney, mais nous cochons sur notre liste un troisième rhinocéros.