jeudi 26 janvier 2012

Jour 5


Jour 5                       Lettre à Paul

Coincée sur mon siège de train deuxième classe, heureusement sur le bord d'une fenêtre, quelque part entre Nasik et Aurangabad tu m’accompagnes fidèlement durant ces quatre heures que dure le trajet. Je te le donne en mille que lorsque tu étais attablé à rédiger Sunset Park, jamais tu n’aurais soupçonné faire un tel périple. La magie de l'écriture transporte l'œuvre là où se trouve le lecteur. Bienvenue à bord.

Je suis une de tes fidèles lectrices. Tu es mon idole de la plume, de l'imaginaire, le génie du scénario, l'habile constructeur d'intrigues, toujours aux aguets des rebondissements les plus étonnants. Avec ton dernier cru, tu ne te démens pas. Je te reconnais pour t'avoir tant lu. Mais cette fois, tu vas plus loin encore, dans cet équilibre fragile entre la force de l'intrigue et celle des personnages. Ce sont eux qui prédominent.

Un à un, tu nous invites dans le secret de leur âme. Ma préférée est Alice Bergstrom, son rêve d'être écrivaine, son choc initiatique lors des événements de la fatwa lancée contre Salmann Rushdie.

Peux-tu t'imaginer qu'aujourd'hui encore j'ai lu en première page dans le Lokmat Times de cette ville indienne où je me trouve, qu'il fait encore la manchette au Literature Festival de Jaipur? La police du Rajastan a très fortement recommandé d'annuler sa prestation, compte tenu de la pression menaçante de la communauté musulmane présente en très grand nombre sur les lieux. Il a répondu sur son Tweet «Threat of violence by Muslim groups stifled free speech today.» Et tu le dis toi-même: «Plus elle grandissait, plus elle comprenait le danger des mots, la menace que les mots peuvent représenter pour le pouvoir, et dans les états gouvernés par des tyrans et des policiers, tout écrivain qui ose s'exprimer librement se met en danger.» Et la vie continue pour tous ces personnages, pour Miles, castré par ses remords, pour Bing, Don Quichotte du capitalisme, pour Moris, témoin impuissant de l'effondrement de ses rêves et de ses amours, et pour tous les autres aussi, tenaces batailleurs blessés par une vie qui refuse obstinément de leur accorder le droit au bonheur.

Et pendant ce temps, je suis assise dans ce train surchargé avec cette vieille indienne qui prend ma cuisse pour un accoudoir, ce musulman ingénieur qui fait jasette avec Jean-Claude, et ces milliers de gens, survivants acharnés de ce pays chaotique. Tous tiennent à la vie et la défendent bec et ongles. Chacun réclame sa place et pousse et tire et pousse encore. Une foule compacte qui refuse d'abdiquer son espace vital, si petit soit-il. Aucune panique, aucune agressivité, aucune exaspération dans le regard. Les choses se font ainsi, que ce soit dans la cohue surréaliste de la circulation routière ou dans la montée et la descente du train. Un « chacun pour soi » convenu par tous. Un élan de survie où personne ne veut perdre sa mise. Un Sunset Park, à la grandeur de ce sous-continent. Il fait trop sombre pour lire. Bonne nuit, Paul Auster, beaux rêves.

Jour 3


Jour 3                    Petit train va loin

Première expédition en train, trois heures, de Mumbai à Nasik. Nous sommes en deuxième classe avec siège, comprendre une classe de voyageurs assez élémentaire.

Au départ de la gare, tout semble très correct, au point ou je me dis que je pourrais éventuellement changer de place. Tendre utopie!!!! À la première gare, les choses se corsent. Beaucoup, beaucoup de monde monte dans le train avec bagages imposants. Ils se bousculent dans l'allée centrale et comme je suis assise sur le siège du bord, j'en ai pour mon argent. Mais qu'à cela ne tienne, les vendeurs du train passent à tour de rôle, avec leurs produits, thé, café, croustilles, crème glacée, gâteaux, noix et beaucoup d'autres encore.

Chacun son tour, ils hurlent d'une voix nasillarde et résonnante et forte comme cela n'est pas imaginable leur produit. Mes bouchons d'oreilles seraient de mise, compte tenu de ma proximité. À l'arrêt suivant, quelques minutes plus tard, de nouveaux voyageurs viennent s'ajouter, portant aussi leur lot de valises et d'enfants. Et oh surprise! des marchands ambulants s'ajoutent à la fête avec leurs propres produits, leurs propres cris, et défilent dans cette étroite allée centrale ou se trouvent justement ma tête et mon épaule. Ce fut ce cirque pendant les trois heures du voyage. Et nous étions aux premières loges. On a pu voir des enfants acrobates, quelques personnes sérieusement handicapées se traînant sur le plancher, un aveugle qui chantait une mélodie magnifique et qui battait la mesure avec son bâton. Ce fut le seul moment de grâce de ce spectacle hallucinant. Paul Auster m'a tenu compagnie pendant que Jean-Claude enseignait à un imam les secrets du sudoku. Et vivent les découvertes, toutes aussi passionnantes les unes que les autres.

Jour 1



Jour 1

Pays de contrastes... pour une première journée, c'est réussi avec, entre autres, la visite de Dharavie, un des bidonvilles de Bombay.

Et si les centaines de cris de salutation "hi" étaient plus tôt des "help"? Tous ces enfants perchés aux fenêtres, courant dans la rue, s'approchant de nous pour nous toucher doucement, le sourire aux lèvres, gentiment pour nous dire bonjour…

Âge moyen de durée de vie, cinquante ans, journée de travail, dix heures, semaine de six jours, travail, récupération de plastiques, d'aluminium, de grandes canisses d'huile pour la communauté musulmane. Et bien oui, il faut distinguer la musulmane de l'hindoue. Les travailleurs dans la première sont des transfuges de l'extérieur de Bombay. Le secteur industriel de ce bidonville est surtout habité par eux. Je dis habité puisque pour dormir, ils balayent le sol de leur lieu de travail et y dorment. Ils sont des transitoires, retournant chez eux pour la saison des récoltes. J'allais oublier. Ils font aussi de la couture à la chaîne, comme le faisait mon amie. Tous des hommes, très jeunes, des enfants qui ont grandi trop vite, ou qui n'ont jamais été enfants.

Et les lieux de résidences, musulmans d'une part, hindous d'une autre et un troisième groupe, des tôliers, ceux-la viennent du nord. J’ai oublié leurs noms. Maisons de deux étages, le haut au propriétaire, le bas au locataire à quarante dollars par mois. Une seule pièce de dix mètres carrés. Aire ouverte disons-nous dans nos chics chez nous. Un petit recoin d'un mètre carré, un coin d'eau pour le lavage et la toilette de la reine du logis. Pas de toilettes. Elles sont publiques, extrêmement rares, sales et sollicitées. Ces maisons de deux étages sont collées les unes aux autres, grains de chapelets miséreux en de longues enfilades. Un dédale de rues, non, disons de ruelles, pas tout à fait, de sentiers plutôt, à peine un mètre de large dont la moitié est réservée à l'égout à ciel ouvert, sillonnent ces espaces. Non seulement faut-il faire attention où nous marchons, mais il faut aussi surveiller nos têtes.

Ah oui, j'oubliais. Un grand canal contenant les eaux usées de Bombay encercle cet espace, un canal qui déborde lors de la crue de la saison des pluies. Je vous fais grâce de son contenu. Imaginez le pire et vous ne serez qu'à son approximation timide.

Le secteur hindou est moins horrible que celui où vivent les musulmans. Leurs femmes travaillent elles aussi, ce qui double le revenu familial. Les sentiers deviennent ruelles, des lieux publics, espaces d'air et de lumière. Leur travail consiste à fabriquer ces délicieuses petites galettes rondes, un genre de chip indien, que l'on sert au début des repas pour faire trempette.

Plus jamais je n'en mangerai sans penser à ce monde inouï.
Ne cherchez pas les photos. Par respect pour ses habitants, notre guide nous a demandé de s'abstenir.


mardi 10 janvier 2012

Écho à Fred

  
« Y en a qui partent tous les matins
Qui reviennent un peu à tous les soirs
Ceux qui vont camper chez leur voisin
Les autres qui aiment mieux prendre de l’avance »

Partir à l’autre bout du monde…voir.
Y trouver d’autres odeurs, d’autres épices, d’autres couleurs, d’autres gens.
Changer le mal de place et tout autant, changer le bonheur de place.
Voir celui des autres, et tant qu’à faire…
Partir à l’autre bout du monde…voir.

« Y a ceux qui attendent leur passeport
Pour rentrer à St Boniface
Ceux qui ont lu tous les Routard
Mais qui vont toujours à la même place »
Bouger, ne pas rester en place.
Sentir la ville, l’immense, la foule, les bruits, les cris.
Me bousculer la tête, me secouer les puces.
Celles du confort de l’indifférence ou celles de l’indifférence du confort
Il me faut chercher dans un ailleurs si je suis toujours
Partir à l’autre bout du monde…voir

« Y a ceux qui prennent une sabbatique
Pour faire un petit tour de vélo
Ceux qui font le tour du monde trop vite
Qui finissent par se voir le dos »

Je suis curieuse, curieuse du monde à l’envers.
Je suis fascinée, fascinée de constellations nouvelles, de la lune couchée sur le dos
Je suis impressionnée, impressionnée par ces temples millénaires
Je suis déroutée, déroutée par cette culture de la divergence.
Je suis admirative, admirative de ces bonheurs dans le dénuement.
Partir à l’autre bout du monde…voir.

« Y a ceux qui partent pour pas longtemps
Pis qui téléphone du Népal
Ceux qui vont se brosser les dents
Pis qui promettent une carte postale »

Trois mois, quatre-vingt-sept jours, deux mille-quatre-vingt-huit heures.
Laisser au temps le temps de prendre son temps
Je ne veux pas que courir, je veux savourer.
Je ne veux pas que voir, je veux regarder.
Je ne veux pas qu’entendre, je veux écouter.
M’attarder là où j’aime et son contraire.
Butiner à mes heures, me gorger de miel à d’autres
Partir à l’autre bout du monde…voir.

« Y a ceux qui font leurs bagages
Pour aller se refaire une vie
Qui un jour sortent les vidanges
Puis qu’on revoit juste au paradis »

Que chercher dans cette errance
Le pur plaisir du différent, greyer ma boîte aux souvenirs
Emplir mes yeux d’images nouvelles
Ajouter de l’encre à ma plume, connaître, découvrir, savourer
Savoir qu’ailleurs la vie jaillit, que mon petit bonheur n’est pas flétri.
Partir à l’autre bout du monde…voir.




jeudi 5 janvier 2012

Avant le départ

Salutations généreux lecteurs



Tel que convenu, bienvenue à mon périple indien...à venir très très très bientôt. C'est par le biais de ce blog que je vous transmettrai mes délires indiens, photos incluses. Et bien sûr, vos fidèles commentaires me signifieront votre présence virtuelle toujours très supportante.