Les photos du Népal
jeudi 29 mars 2012
Jour 69
Jour 69
L'impie confondue
Nous arrivons d'une visite au site bouddhiste de
Lumbini. Le cœur de cet espace d'une superficie d'environ quatre kilomètres
carrés, est le lieu précis où serait né en 563 av. J-C, Siddharta Gautame, le
Bouddha historique. Cet espace sacré, le temple Maya Devi, est entouré de
ruines millénaires et ont fait l'objet de longs débats archéologiques et
politiques.
Cette construction est un bâtiment anodin, pour ne
pas dire banal, de briques blanches. L'édification d'un monument grandiose se
fait toujours attendre.
Mais une magie y règne. Des groupes de pèlerins
affluent, souvent tout de blanc vêtus, les autobus de fervents déversent leur
groupe tout endimanché, des touristes bedonnants en shorts et en t-shirt
détonnent par leur irrespect, les cyclistes avec leurs rickshaws déglingués
font la queue aux roupies, les chants scandés résonnent sous le soleil torride,
les pieux font la queue pour se recueillir au-dessus de la pierre reconnue
comme étant là, exactement, où Bouddha est né. L'intensité de ce moment est
palpable.
Ceux qui s'attardent un peu trop sont invités par un
gardien à laisser la place au suivant. J'ai aussi fait la file pour voir de
plus près, pour sentir sous mes doigts la pierre rugueuse et dorée où tous
déposaient leur front. Cinq fois j'y ai touché, pour DJC, pour H et G, pour Y
et N, mes amis bouddhistes.
Dans le grand jardin derrière le temple, sous un
arbre immense, des moines priaient, bénissaient les dévots et se laissaient
photographier pour la postérité. Un autre, à l'écart, acceptait leurs
offrandes. De cet arbre béni, JC a cueilli les feuilles pour les remettre aux
amis bouddhistes.
Je crois que la piété c'est cela. Un mouvement
collectif vers une croyance intense qui anime le cœur et qui transforme le
regard sur les gens et sur les choses. Ici elle baignait dans le calme et le
recueillement. Ailleurs, comme à Ajmer, elle était hystérique. (voir jour 33)
mardi 27 mars 2012
Jour 66
Jour 66
Rythmes
Ce matin au déjeuner, nous avons décidé que les
trois semaines à venir seraient des vacances. Il ne reste qu'environ quatre
destinations népalaises à faire et donc, nous avons tout notre temps. Le rythme
change donc. Génial!
Rythme du corps
Respirer par le nez, ne pas manger ses bas, pas de
broue dans le toupet, prendre ça relaxe, y aller mollo, laisser au temps le
temps de prendre son temps. Une des merveilles inestimables de la retraite.
Dans la montagne il y a quelques jours, un certain
rythme s'est imposé comme maître absolu. Prendre chacune à leur tour marche
après marche, m'arrêter, reprendre mon souffle, écouter l'énergie revenir,
reprendre la cadence. C'est mon corps qui décide. C'est lui qui donne le «go», je peux continuer, encore
quelques marches de plus. À la fois un exercice d'humilité face à une limite
incontournable, mais aussi un de fierté, de respect. Ne pas m'affoler, laisser
JC gambader comme un jeune chevreau, accepter et même me réjouir de la présence
de Dal notre guide, là tout près derrière, comme mon ombre.
Il veille sur moi ce Dal, à la manière d'un ange
gardien qui surveille chacun de mes pas et qui s'affole lorsque mon pied paresseux
bute sur un caillou. Je pourrais bien être sa mère puisqu'il n'a pas encore
quarante ans. D'ailleurs, il m'appelle «mama». Pour chacun de nous, ceci est
une expérience nouvelle et unique. Un fils accompagnant une mère dans sa
montagne à lui, sur ses sentiers et dont il surveille chacun de ses pas. Une
mère accompagnée et protégée par un fils qui tend le bras chaque fois que
l'équilibre fait défaut ou que le pied traîne un peu trop et rencontre un
obstacle. Rien dans ce rapport ne m'irrite, moi, la grande fille autonome.
Ici, c'est la montagne qui décide de sa pente, de
ses escarpements, de ses éboulis. C'est aussi mon corps qui décide de ses
vertiges, de ses essoufflements, de sa lourdeur, de son épuisement. C'est cela
bien sûr, mais beaucoup plus encore.
Lors de ces pauses obligées, si brèves soient-elles,
mon regard s'envole dans l'immensité du paysage, il se pose sur ces minuscules
fleurs bleues qui se pointent dans les fissures des rochers, il balaie
l'horizon et son absolue immensité qui s'étire d'un sommet neigeux à l'autre,
il s'engouffre dans la mousse des arbres immenses, il s'accroche au visage
curieux de l'enfant rêveur, à celui de cette vieillarde transportant sur son
dos un immense panier débordant de feuillage pour nourrir son bœuf. Ces pauses
sont aussi l'occasion pour Dal et moi de faire jasette. Un tronc d'arbre
calciné et nous discutons de feux de forêt, des grains de maïs sur notre route
et nous salivons à l'idée de déguster un bon épi, une immense ruche d'abeille
accrochée à la cime d'un arbre et nous jasons d'apiculture et de l'importance
des abeilles sur notre petite planète. Et nous reprenons la route, et mon
souffle suit, et mes jambes, et ma tête, alouette!
Et toujours nous arrivons au but. Moins vite que
tous les autres, que JC bien sûr, mais nous arrivons quand même. Fourbus mais
contents.
Nous avons gagné. Surtout, nous avons compris
comment si prendre pour apprivoiser un peu plus l'Annapurna et ses fichus
escaliers.
Rythme du voyage
Nous voyageons toujours sur le mode nomade. Un jour
à la fois, pas d'organisation encombrante, la découverte d'abord, les décisions
ensuite. Les voyages en groupe télécommandés ne sont pas notre tasse de thé.
Nous bougeons beaucoup, à notre convenance, dans la direction qui nous sied. Nous
changeons d'idée régulièrement dépendant des circonstances, du temps qu'il
fait, des gens que l'on rencontre, de la fatigue ou du plaisir. La bousculade
nous irrite. Le temps qui s'étire nous réjouit. Voilà bien notre modus
vivendi.
Ce voyage ne fait pas exception. Des choses à faire,
des lieux à visiter, il y en a des centaines. Et on en a bien vu plusieurs. Des
splendides, des délirants, des hallucinants, des décevants aussi. L'important
est surtout d'apprécier. La saturation vient vite et une fois installée, plus
rien ne colle
à la rétine. Ma jouissance tient à ce rythme imprévisible, paresseux à ses heures, énergique et vaillant à d'autres.
à la rétine. Ma jouissance tient à ce rythme imprévisible, paresseux à ses heures, énergique et vaillant à d'autres.
Et maintenant, voilà que nous sommes au ralenti.
Trois jours dans ce petit village de Tansen, demain, un taxi vers Lumbini, le
village des Bouddhas. Pour combien de jours? On verra bien rendu sur place.
samedi 24 mars 2012
Les escaliers
La prochaine pierre plate arrive aussi vite que la précédente. Tik! Tik! Tik! Le bruit sec du carbure, au bout des bâtons, tinte au rythme de l'escalier. Pierre après pierre. Tik! Une poussée du bras, le pied va chercher la pierre suivante, gauche, droite, gauche, droite. Au début, après 50 ou 60 marches je m'arrête pour reprendre mon souffle, on n'est qu'à 1 800 mètres d'altitude. Sept jours plus tard, à plus de 2 000 mètres, au moins 150 marches se succèdent, le pouls monte à 120, une minute plus tard est descendu à 94 et prendra une autre minute pour se stabiliser à 76. La forme est bonne.
Combien de milliers de marches, plus ou moins régulières avons-nous gravies et descendues en ces onze jours de sentier des Sanctaires de l'Annapurna? Des pierres plates, d'autres arrondies, d'autres totalement irrégulières, du gravier, de la terre, de la boue, des racines, parfois de la neige, et encore des pierres.
Autour, le paysage avance doucement. Les arbres couverts de mousse, humides, succèdent aux pentes vertigineuses, abruptes, couvertes de forêt ou de minces bandes de terres superposées en espalier où croissent riz, blé, légumes. En bas, tout en bas, 500, 800 mètres plus bas, une ligne tortueuse fraie son chemin, le lit d'une rivière un jour gonflée par la mousson serpente, tout en bas. En haut, le ciel. Juste en dessous, les montagnes de l'Annapurna, placides et immaculées, enneigées à jamais, comme une dentelle spectaculaire suspendue dans le vide, un rideau délicat mais aussi effrayant de hauteur et d'aridité. En haut, à 8 125 mètres, il y a la neige et la pierre. L'oxygène y a presque disparu. Ici, entre le bas et le haut, il en reste encore, de moins en moins à cause des pierres que nous laissons derrière nous, marquées par le bruit du carbure qui s'y pose.
Les ponts suspendus, au tablier de bois incertain, se balancent et sursautent sous les pas au rythme maintenant irrégulier. Combien? Sept ou huit peut-être, impliquant sept ou huit descentes de montagnes et sept ou huit remontées sur ces escaliers de pierres, régulières ou non.
Et puis une gorgée d'eau, moment de contemplation. Le pouls redescend à 84, après à 76. Les oiseaux se passent le diapason et la chorale accompagne les baguettes du marcheur. Les rythmes sont différents, Marie et Dal, notre guide/ange gardien, suivent pas trop loin. Les genoux de ma blonde tiennent toujours le coup.
Notre quête croise celles de dizaine d'autres marcheurs. Les sourires et les salutations sont d'usage, chacun étant solidaire des autres. Les hameaux se succèdent, le sourire des enfants s'accompagne du traditionnel "chocolate?". Ces gentils montagnards tribaux qui tirent en bonne partie leur subsistance de notre présence sur leur territoire nous regardent défiler, espérant une halte en face de leur échoppe, leur restaurant ou leur asile bienveillant. Mais la marche continue.
Les maisons aux toits de tôle bleue se dessinent mieux que tout à l'heure. Quelques centaines de marches de pierre avalées de plus et ce sont des murs de pierre qui nous accueillent, ouvrent leur portes bancales, révèlent des deux couchettes où nous pourrons refaire nos forces, protégés par ce rideau fleuri délavé. Une autre nuit froide au cours de laquelle on espère ne pas se lever à 3h30 pour se rendre à la toilette, à l'autre bout de la galerie. Mais non! À 4h10, de retour dans son sac de couchage, je pense à la pierre et au chant des oiseaux et à la neige éternelle et aux ponts suspendus et aux courageux porteurs et aux lisières de blé et aux drapeaux bouddhistes et aux pentes abruptes et aux tik tik des bâtons et aux sourires des Népalais et aux genoux de Marie et au plaisir de marcher, demain. Et puis, tout à coup, je rêve...
jcsh
Combien de milliers de marches, plus ou moins régulières avons-nous gravies et descendues en ces onze jours de sentier des Sanctaires de l'Annapurna? Des pierres plates, d'autres arrondies, d'autres totalement irrégulières, du gravier, de la terre, de la boue, des racines, parfois de la neige, et encore des pierres.
Autour, le paysage avance doucement. Les arbres couverts de mousse, humides, succèdent aux pentes vertigineuses, abruptes, couvertes de forêt ou de minces bandes de terres superposées en espalier où croissent riz, blé, légumes. En bas, tout en bas, 500, 800 mètres plus bas, une ligne tortueuse fraie son chemin, le lit d'une rivière un jour gonflée par la mousson serpente, tout en bas. En haut, le ciel. Juste en dessous, les montagnes de l'Annapurna, placides et immaculées, enneigées à jamais, comme une dentelle spectaculaire suspendue dans le vide, un rideau délicat mais aussi effrayant de hauteur et d'aridité. En haut, à 8 125 mètres, il y a la neige et la pierre. L'oxygène y a presque disparu. Ici, entre le bas et le haut, il en reste encore, de moins en moins à cause des pierres que nous laissons derrière nous, marquées par le bruit du carbure qui s'y pose.
Les ponts suspendus, au tablier de bois incertain, se balancent et sursautent sous les pas au rythme maintenant irrégulier. Combien? Sept ou huit peut-être, impliquant sept ou huit descentes de montagnes et sept ou huit remontées sur ces escaliers de pierres, régulières ou non.
Et puis une gorgée d'eau, moment de contemplation. Le pouls redescend à 84, après à 76. Les oiseaux se passent le diapason et la chorale accompagne les baguettes du marcheur. Les rythmes sont différents, Marie et Dal, notre guide/ange gardien, suivent pas trop loin. Les genoux de ma blonde tiennent toujours le coup.
Notre quête croise celles de dizaine d'autres marcheurs. Les sourires et les salutations sont d'usage, chacun étant solidaire des autres. Les hameaux se succèdent, le sourire des enfants s'accompagne du traditionnel "chocolate?". Ces gentils montagnards tribaux qui tirent en bonne partie leur subsistance de notre présence sur leur territoire nous regardent défiler, espérant une halte en face de leur échoppe, leur restaurant ou leur asile bienveillant. Mais la marche continue.
Les maisons aux toits de tôle bleue se dessinent mieux que tout à l'heure. Quelques centaines de marches de pierre avalées de plus et ce sont des murs de pierre qui nous accueillent, ouvrent leur portes bancales, révèlent des deux couchettes où nous pourrons refaire nos forces, protégés par ce rideau fleuri délavé. Une autre nuit froide au cours de laquelle on espère ne pas se lever à 3h30 pour se rendre à la toilette, à l'autre bout de la galerie. Mais non! À 4h10, de retour dans son sac de couchage, je pense à la pierre et au chant des oiseaux et à la neige éternelle et aux ponts suspendus et aux courageux porteurs et aux lisières de blé et aux drapeaux bouddhistes et aux pentes abruptes et aux tik tik des bâtons et aux sourires des Népalais et aux genoux de Marie et au plaisir de marcher, demain. Et puis, tout à coup, je rêve...
jcsh
Le sentier
Comme pour beaucoup, la passion de l'Himalaya s'est révélée avec Tintin au Tibet. Une randonnée sur les sentiers de l'Annapurna est donc un fantasme que nous avons décidé d'assouvir. Le tout s'est arrangé avec l'International Guest House où nous avons dormi à Katmandou, à bon prix, selon Bishnu, un ami de S. avec qui nous avons passé deux jours dans la capitale népalaise.
Nous partons pour Pokhara tôt le matin, sept heures d'autobus pour franchir 250 kilomètres. Le lendemainmain, 90 minutes d'auto nous amènent à Nayapul (1 070 mètres d'altitude), point de départ du trek. Dal, notre guide/porteur veillera sur nous tout au long du trajet. Se passe ainsi une première journée de marche sans problème, en bonne partie sur une route empruntée par quelques tracteurs. Bientôt le sentier devient LE sentier: pavé de pierres plates et d'escaliers relativements réguliers, il grimpe dans la montagne sur des centaines de kilomètres. Les pierres que nous foulons l'ont été depuis plusieurs siècles par les voyageurs entre l'Inde et le Tibet, les moines bouddhistes en pélerinage et les fous de la marche. En cinq heures nous atteignons Thikke Dhunya, 600 mètres plus haut, où un lodge nous attend. Il faut vivre à la dure maintenant. Finies les belles chambres d'hôtel à la salle de bain immaculée et aux lits douillets. Les chambres sont petites et spartiates, les douches et toilettes sont communes avec parfois de l'eau chaude, les couchettes acceptables. Dans les trente minutes suivant notre arrivée, un sérieux orage éclate. Le froid paraît plus froid, l'humidité plus humide.
Dal est plus que notre guide/porteur, il est celui qui fait l'intermédiaire entre nous et le "guest house", il prend notre commande aux repas et se mue en serveur. C'est lui qui nous présentera notre facture le matin, avant de repartir. Il est totalement dévoué à notre service. Les menus seront les mêmes tout au long du trajet, d'un lodge à l'autre, d'un restaurant à l'autre.
Nous sommes levés à 7h00 et prêts à partir 45 minutes plus tard. Dal nous a prévenu la veille, il s'agit de la plus dure journée du trek: au moins sept heures de marche pour gravir 1 300 mètres jusqu'à la prochaine nuit. Il a raison. Ça monte, et raide à part de ça. Près de 4 000 marches de pierre nous attendent et l'altitude augmentant, l'effort aussi. Marie marche à son rythme, plus lentement. Je devance puis j'attends et repars puis attends. La pause du dîner est bienvenue. 1h30 à récupérer avant de se remettre en route. Arrive la forêt, la pente est moins raide, mais ça monte toujours. De moins en moins de randonneurs nous dépassent, ils arriveront avant nous à Ghorepani (2 860 mètres), menés par un rythme plus cadencé. Des caravanes d'ânes ont été croisées toute la journée, allant livrer les marchandises dont dépendent les restaurants et lodges. Par moments, le sentier sent le fumier, attention de ne pas y mettre les pieds.
Après le dîner, Marie était déjà très fatiguée. Je vois dans ses yeux son désarroi mais elle tient le coup: elle n'a pas le choix, il faut avancer. Heureusement la pente est moins raide et l'air plus frais. La dernière heure est une torture. On en oublie de regarder le paysage grandiose qui s'étale devant, en bas, en haut.
Enfin nous arrivons, 7h30 après notre départ. Une première victoire! Je suis fatigué, Marie est exténuée. Vite des vêtements secs. Nous pendons les mouillés au dessus du poêle à bois/fournaise fait d'un tonneau de métal. Un groupe d'Allemands est déjà installé autour. Comme par magie, deux places se libèrent: les chocolats chauds son exquis.
Directement devant nous se dressent les montagnes de l'Annapurna, sorties directement d'une carte postale gigantesque ou d'un casse-tête aux milliards de morceaux. Vertigineux!
Onze heures de sommeil répareront en bonne partie de la fatigue de la veille. Nous décidons de rester ici une journée de plus, histoire de bien refaire le plein et de reposer le genoux de Marie. Après tout, nous sommes en vacances et nous avons du temps devant nous. Quelle bonne idée car toute la journée sont tombés pluie, grêle et neige!
Nous repartirons demain.
jcsh
Nous partons pour Pokhara tôt le matin, sept heures d'autobus pour franchir 250 kilomètres. Le lendemainmain, 90 minutes d'auto nous amènent à Nayapul (1 070 mètres d'altitude), point de départ du trek. Dal, notre guide/porteur veillera sur nous tout au long du trajet. Se passe ainsi une première journée de marche sans problème, en bonne partie sur une route empruntée par quelques tracteurs. Bientôt le sentier devient LE sentier: pavé de pierres plates et d'escaliers relativements réguliers, il grimpe dans la montagne sur des centaines de kilomètres. Les pierres que nous foulons l'ont été depuis plusieurs siècles par les voyageurs entre l'Inde et le Tibet, les moines bouddhistes en pélerinage et les fous de la marche. En cinq heures nous atteignons Thikke Dhunya, 600 mètres plus haut, où un lodge nous attend. Il faut vivre à la dure maintenant. Finies les belles chambres d'hôtel à la salle de bain immaculée et aux lits douillets. Les chambres sont petites et spartiates, les douches et toilettes sont communes avec parfois de l'eau chaude, les couchettes acceptables. Dans les trente minutes suivant notre arrivée, un sérieux orage éclate. Le froid paraît plus froid, l'humidité plus humide.
Dal est plus que notre guide/porteur, il est celui qui fait l'intermédiaire entre nous et le "guest house", il prend notre commande aux repas et se mue en serveur. C'est lui qui nous présentera notre facture le matin, avant de repartir. Il est totalement dévoué à notre service. Les menus seront les mêmes tout au long du trajet, d'un lodge à l'autre, d'un restaurant à l'autre.
Nous sommes levés à 7h00 et prêts à partir 45 minutes plus tard. Dal nous a prévenu la veille, il s'agit de la plus dure journée du trek: au moins sept heures de marche pour gravir 1 300 mètres jusqu'à la prochaine nuit. Il a raison. Ça monte, et raide à part de ça. Près de 4 000 marches de pierre nous attendent et l'altitude augmentant, l'effort aussi. Marie marche à son rythme, plus lentement. Je devance puis j'attends et repars puis attends. La pause du dîner est bienvenue. 1h30 à récupérer avant de se remettre en route. Arrive la forêt, la pente est moins raide, mais ça monte toujours. De moins en moins de randonneurs nous dépassent, ils arriveront avant nous à Ghorepani (2 860 mètres), menés par un rythme plus cadencé. Des caravanes d'ânes ont été croisées toute la journée, allant livrer les marchandises dont dépendent les restaurants et lodges. Par moments, le sentier sent le fumier, attention de ne pas y mettre les pieds.
Après le dîner, Marie était déjà très fatiguée. Je vois dans ses yeux son désarroi mais elle tient le coup: elle n'a pas le choix, il faut avancer. Heureusement la pente est moins raide et l'air plus frais. La dernière heure est une torture. On en oublie de regarder le paysage grandiose qui s'étale devant, en bas, en haut.
Enfin nous arrivons, 7h30 après notre départ. Une première victoire! Je suis fatigué, Marie est exténuée. Vite des vêtements secs. Nous pendons les mouillés au dessus du poêle à bois/fournaise fait d'un tonneau de métal. Un groupe d'Allemands est déjà installé autour. Comme par magie, deux places se libèrent: les chocolats chauds son exquis.
Directement devant nous se dressent les montagnes de l'Annapurna, sorties directement d'une carte postale gigantesque ou d'un casse-tête aux milliards de morceaux. Vertigineux!
Onze heures de sommeil répareront en bonne partie de la fatigue de la veille. Nous décidons de rester ici une journée de plus, histoire de bien refaire le plein et de reposer le genoux de Marie. Après tout, nous sommes en vacances et nous avons du temps devant nous. Quelle bonne idée car toute la journée sont tombés pluie, grêle et neige!
Nous repartirons demain.
jcsh
Jour 61
Jour 61
L'impuissance des mots
Comment dire l'indescriptible? Mes yeux débordent.
Ma mémoire pleure son incompétence. Impossible pour moi de traduire cette forêt
aux longs arbres drapés de mousse de velours, ces ombres rafraîchissantes qui
vous enveloppent de leur parfum de fin du jour, ces balcons de culture
surplombant ces autres et ces autres encore et décorant les flancs de montagne
de vert des nouvelles pousses, du blond des blés mûrs, du brun chaud de la
terre nouvellement labourée, et ces cimes neigeuses, grandes effrontées clamant
la supériorité de la montagne sur l'homme, et ces porteurs chargés comme trois
ânes et qui gagnent leur croûte à se suer les entrailles et à se casser la
nuque, et ces trois magnifiques vieilles assises devant un immense panier et
qui placotent et rient tout en triant les grains de maïs séché. Je pourrais
comme ça, tout doucement égrainer pendant des heures et des jours même, ces
centaines d'images, d'odeurs, de fraîcheurs qui me mitraillent les yeux, le
nez, la peau.
Elles se nomment Ghorepani, Tadapani, Chlomrong,
Jhinu Dantan, Landruk, Pittan, Deurali, Dampus, ces prolifiques mères porteuses
des infinies splendeurs de l'Annapurna.
Je les laisse se déposer doucement et trouver
peut-être le chemin de ma plume. En attendant, ces coquines émergent à leur
guise et se sauvent tout aussi vite, dès que je les menace de mes pauvres mots.
Jugez par vous-même cette humble tentative de
traduire pour J. ma compréhension de la vie de ces gens de cet autre monde:
«Tous ces témoignages que tu lis sont effectivement très passionnants. Ils
disent bien l'infinie possibilité de ce monde, lui-même infini. Tout ici est à
la fois possible et pourtant l'immensité de la situation rend le mot impossible
bien réel. Comme les quelque vingt-mille marches que je viens de monter et de
descendre, il faut bien en prendre une à la fois je suppose. Et cela est bien
ce qui semble se passer. Pas de révolte, pas de grands sparages politiques. Un
chacun pour-soi, tout occupé qu'il est à sa survie, à ses enfants, à son petit
bonheur.
Une bidimensionnalité où la conscience du quotidien
garde le regard bien fixé sur le prochain pas à prendre, mais que ce dernier a
lieu et place dans une immensité d'une splendeur majestueuse et effroyable à la
fois. Imagine-toi marchant sur un très étroit sentier serpentant une falaise où
tout en bas, les galeries de culture de blé descendent vers le fond de la
montagne au creux de laquelle gronde un torrent furieux, et que tout en haut,
surveillent et règnent comme des dieux, l'Annapurna et son «Fish Tail», dans
leur splendeur coiffée de neige. La vie ici ressemble à cela. Enfin, c'est
comme cela que j'arrive à la décrire...»
vendredi 9 mars 2012
Le sable
Il est 10h30 et la jeep nous a laissé à quarante kilomètres au sud-ouest de Jaisalmer, sur le bord de la route. Le Pakistan est à trente minutes. Un petit homme, Omar, et deux dromadaires endimanchés et prêts pour le voyage nous attendaient. Omar pourrait être un personnage dans une aventure de Tintin. Omar mesure cinq pieds, est coiffé de son petit bonnet de musulman et, sous sa veste brune et son long châle carrelé noir et bleu, porte une jupe blanche. Omar se tient dans des souliers "loafer" sans chaussettes. Son oeil droit se fiche de l'autre. Omar a 27 ans, mais on lui en donnerait 45, ridé et buriné par le soleil, c'est un fils du désert de Thar.
Je lui demande où se cache son chameau, il me répond, souriant, qu'il aime marcher.
La monture de Marie se nomme Rocket, est brune et vient d'avoir cinq ans. La mienne s'appelle Robert, est blonde et a trois ans. Ce sont des mâles car les femelles ne sont pas assez fortes pour transporter des humains lestés de bagages, de nourriture, de containers d'eau, de couvertures et de tout l'attirail pour faire la cuisine. Nous enfourchons les bêtes. Tchik! Tchik! Elles se relèvent, et c'est parti. Et valse la vague, à plus de deux mètres du sol aride. Il faut prendre le rythme: un petit peu en avant sur la gauche, puis en arrière, un petit peu en avant sur la droite, puis en arrière, mille fois à l'heure. Ça use petit à petit le haut des fesses, même si les selles sont confortables.
Jouqués si haut nous pouvons bien voir le paysage. Le désert de Thar n'est pas le Sahara. Les grandes plaines sont couvertes d'herbe jaune, de buissons verts épineux, d'arbustes squelettiques, de quelques arbres non moins épineux. Et il y a bien sûr le sable blond dans lesquelles ces racines réussissent à s'immiscer. On se demande comment la végétation peut bien croître dans un tel environnement qui reçoit, dans les bonnes années, cinquante milimètres de pluie. Des dizaines de sentiers se croisent et se décroisent, des petits groupes de chèvres broutent on se sait trop quoi, des oiseaux s'envolent sur notre passage, quelques rapaces planent dans le ciel sans nuage, plus loin une poignée de paysans sont aperçus, courbés sur cette terre inhospitalière.
Heureusement, une brise omniprésente adoucit la chaleur qui doit friser les 32-35 degrés. Nous avançons à la vitesse du pas d'Omar, infatigable, qui tient la corde de Rocket auquel est attaché Robert. Une caravane quoi! Une caravane qui s'arrête à un hameau pour puiser de l'eau ou qui stoppe plus loin à une mare boueuse pour faire boire nos véhicules. Il ne faut pas être pressés, tit train va loin...
À treize heures, nous arrêtons pour le dîner. Il s'agit d'un lit d'une ex-petite rivière, complètement asséchée. L'ombre de quelques arbres nous donnera un semblant de fraîcheur. Omar nous étend deux couvertures "pour se reposer" pendant qu'il dételle Rocket et Robert. Tout nus, ils ont aussi fière allure. Omar leur entrave les pattes avant et les laisse aller brouter ce qu'ils peuvent de leur drôle de démarche, à petits pas de souris. Voir Omar préparer le repas est une école en soi. Trois pétites pierres au centre desquelles un feu minuscule est allumé grâce à des branchages secs permettra d'abord le rituel du "tchaï", un thé lacté au gingembre et très sucré, que l'on pourrait nommer boisson nationale de l'Inde. Les légumes sont ensuite cuits dans leur sauce épicée puis réservés, pendant qu'Omar mélange la farine et pétrit les tortillas de pain qui accompagneront le repas. Ça pique et c'est bon. Bananes et oranges complètent le menu. Quatre garçons arrivent de je ne sais où, leur chemise bleue indique une école. Ils ont cueilli en chemin des petits fruits qui rappellent un peu des cerises. Omar leur donne le reste du repas, qu'ils dévorent avec joie. Il faut nourrir aussi les personnes que l'on rencontre quand on le peut.
Avant d'aller chercher les chameaux, Omar fait sa prière, tourné vers l'ouest, car ici La Mecque est par là. "Djé, djé" et les bêtes s'accroupissent pour l'habillage. Il est 4h00, la grosse chaleur est passée. "Tchik tchik" et nous revoici répartis, guidés par notre petit musulman. C'est ainsi que nous arrivons aux dunes de sable blond, deux heures plus tard. Un espace qui aurait pu être plus vaste, mais qui nous permet quand même d'avoir un aperçu de ce que devrait être un vrai désert saharien. Nous établissons le campement pour la nuit. Le feu, le tchaï et le repas deviennent routine. Juste avant le coucher du soleil arrivent, à pied, un homme et une jeune fille, richement parés. Pour quelques roupies il sortira sa flûte et elle dansera en chantant un moment. Ce sont des gitans qui sont à la recherche des touristes férus de désert. C'est qu'il doit y en avoir des touristes dans le désert pour qu'ils en fassent commerce. Et vlan pour le romantisme!
La nuit est longue et pas très confortable, le sable reste quand même dur pour les côtes. Mais le coup d'oeil sur les millions d'étoiles en vaut la peine, avec, en toile de fond, Robert et Rocket qui se découpent sur l'horizon. On en oublie même les énormes scarabées noirs qui griffent le sable dans leur incessante quête.
Le soleil se lève à 7h30, splendide. Une fois le petit déjeuner ingurgité, la prière d'Omar chose du passé, les photos des dunes prises, les chameaux scellés et nous dessus, la caravane se remet en route. Nous arrêtons à un puits presque médiéval où une poignée d'hommes enturbanés s'affairent à en extraire le précieux liquide. Des bovidés, des chèvres et des moutons attendent leur tour. J'aide les hommes à tirer l'eau, au sens littéral du terme. À trois, nous tirons la corde qui est reliée à une outre faite de caoutchouc de chambre à air, me semble-t-il. Il faut tirer au moins quinze mètres pour ramener à la surface la chose et la vider dans des bassins de ciment où s'abreuvent les bestiaux. Nos chameaux auront aussi leur ration.
Un repas, copie carbone des autres, suivra. Quatre antilopes nous font l'honneur de leur présence. C'est autour de14h00 que la brise, toujours présente redouble, et même retriple. Il souffle tout à coup à 50, 60 kilomètre/heure. Avec le vent vient aussi le sable. C'est là que les choses se compliquent. Les grands foulards que portent les gens du désert ne servent pas qu'à protéger du soleil. Chapeaux et visages sont vite recouverts, les caméras vite rangées. Heureusement que vous portons des verres fumés. Chemin faisant, une vingtaine de moutons sont croisés: ils forment un bloc compact, la tête tournée vers le centre, pour se protéger du sable. Un signe que même des touristes comprennent. Après deux heures de marche, plus rapide, me paraît-t-il, nous debarquons dans une ferme en bordure d'un village. Omar et sa famille y vivent. La halte est pour prendre de la nourriture pour les dromadaires. Le sable est partout.
C'est là que Marie et moi décidons d'arrêter l'aventure. Il n'y a plus de plaisir à y avoir. L'alternative est de passer le reste de la jounée et la nuit sous la tente, en espérant que demain sera un jour meilleur, si Allah le souhaite. Nous repartons donc pour une dernière chevauchée d'une demie heure pour attendre la jeep qui nous ramène à l'hôtel où la douche chaude et la bière glacée nous attendaient le pied ferme.
Il reste que l'expérience de la tempête de sable, même si elle a écourté notre aventure de vingt-quatre heures, a été enrichissante. Pour le reste, ce fantasme du désert s'est avéré inoubliable. Omar, Rocket et Robert nous ont révélé plusieurs de leurs secrets, nous avons appris quelques mots du langage dromadairien, constaté toute cette vie inusitée en terre aussi aride et partagé plusieurs heures avec un ciel étoilé d'une splendeur inouïe. Nos fesses endolories s'en remettront vite et le bruit des pets de chameaux s'estomperont avec le temps.
jcsh
Je lui demande où se cache son chameau, il me répond, souriant, qu'il aime marcher.
La monture de Marie se nomme Rocket, est brune et vient d'avoir cinq ans. La mienne s'appelle Robert, est blonde et a trois ans. Ce sont des mâles car les femelles ne sont pas assez fortes pour transporter des humains lestés de bagages, de nourriture, de containers d'eau, de couvertures et de tout l'attirail pour faire la cuisine. Nous enfourchons les bêtes. Tchik! Tchik! Elles se relèvent, et c'est parti. Et valse la vague, à plus de deux mètres du sol aride. Il faut prendre le rythme: un petit peu en avant sur la gauche, puis en arrière, un petit peu en avant sur la droite, puis en arrière, mille fois à l'heure. Ça use petit à petit le haut des fesses, même si les selles sont confortables.
Jouqués si haut nous pouvons bien voir le paysage. Le désert de Thar n'est pas le Sahara. Les grandes plaines sont couvertes d'herbe jaune, de buissons verts épineux, d'arbustes squelettiques, de quelques arbres non moins épineux. Et il y a bien sûr le sable blond dans lesquelles ces racines réussissent à s'immiscer. On se demande comment la végétation peut bien croître dans un tel environnement qui reçoit, dans les bonnes années, cinquante milimètres de pluie. Des dizaines de sentiers se croisent et se décroisent, des petits groupes de chèvres broutent on se sait trop quoi, des oiseaux s'envolent sur notre passage, quelques rapaces planent dans le ciel sans nuage, plus loin une poignée de paysans sont aperçus, courbés sur cette terre inhospitalière.
Heureusement, une brise omniprésente adoucit la chaleur qui doit friser les 32-35 degrés. Nous avançons à la vitesse du pas d'Omar, infatigable, qui tient la corde de Rocket auquel est attaché Robert. Une caravane quoi! Une caravane qui s'arrête à un hameau pour puiser de l'eau ou qui stoppe plus loin à une mare boueuse pour faire boire nos véhicules. Il ne faut pas être pressés, tit train va loin...
À treize heures, nous arrêtons pour le dîner. Il s'agit d'un lit d'une ex-petite rivière, complètement asséchée. L'ombre de quelques arbres nous donnera un semblant de fraîcheur. Omar nous étend deux couvertures "pour se reposer" pendant qu'il dételle Rocket et Robert. Tout nus, ils ont aussi fière allure. Omar leur entrave les pattes avant et les laisse aller brouter ce qu'ils peuvent de leur drôle de démarche, à petits pas de souris. Voir Omar préparer le repas est une école en soi. Trois pétites pierres au centre desquelles un feu minuscule est allumé grâce à des branchages secs permettra d'abord le rituel du "tchaï", un thé lacté au gingembre et très sucré, que l'on pourrait nommer boisson nationale de l'Inde. Les légumes sont ensuite cuits dans leur sauce épicée puis réservés, pendant qu'Omar mélange la farine et pétrit les tortillas de pain qui accompagneront le repas. Ça pique et c'est bon. Bananes et oranges complètent le menu. Quatre garçons arrivent de je ne sais où, leur chemise bleue indique une école. Ils ont cueilli en chemin des petits fruits qui rappellent un peu des cerises. Omar leur donne le reste du repas, qu'ils dévorent avec joie. Il faut nourrir aussi les personnes que l'on rencontre quand on le peut.
Avant d'aller chercher les chameaux, Omar fait sa prière, tourné vers l'ouest, car ici La Mecque est par là. "Djé, djé" et les bêtes s'accroupissent pour l'habillage. Il est 4h00, la grosse chaleur est passée. "Tchik tchik" et nous revoici répartis, guidés par notre petit musulman. C'est ainsi que nous arrivons aux dunes de sable blond, deux heures plus tard. Un espace qui aurait pu être plus vaste, mais qui nous permet quand même d'avoir un aperçu de ce que devrait être un vrai désert saharien. Nous établissons le campement pour la nuit. Le feu, le tchaï et le repas deviennent routine. Juste avant le coucher du soleil arrivent, à pied, un homme et une jeune fille, richement parés. Pour quelques roupies il sortira sa flûte et elle dansera en chantant un moment. Ce sont des gitans qui sont à la recherche des touristes férus de désert. C'est qu'il doit y en avoir des touristes dans le désert pour qu'ils en fassent commerce. Et vlan pour le romantisme!
La nuit est longue et pas très confortable, le sable reste quand même dur pour les côtes. Mais le coup d'oeil sur les millions d'étoiles en vaut la peine, avec, en toile de fond, Robert et Rocket qui se découpent sur l'horizon. On en oublie même les énormes scarabées noirs qui griffent le sable dans leur incessante quête.
Le soleil se lève à 7h30, splendide. Une fois le petit déjeuner ingurgité, la prière d'Omar chose du passé, les photos des dunes prises, les chameaux scellés et nous dessus, la caravane se remet en route. Nous arrêtons à un puits presque médiéval où une poignée d'hommes enturbanés s'affairent à en extraire le précieux liquide. Des bovidés, des chèvres et des moutons attendent leur tour. J'aide les hommes à tirer l'eau, au sens littéral du terme. À trois, nous tirons la corde qui est reliée à une outre faite de caoutchouc de chambre à air, me semble-t-il. Il faut tirer au moins quinze mètres pour ramener à la surface la chose et la vider dans des bassins de ciment où s'abreuvent les bestiaux. Nos chameaux auront aussi leur ration.
Un repas, copie carbone des autres, suivra. Quatre antilopes nous font l'honneur de leur présence. C'est autour de14h00 que la brise, toujours présente redouble, et même retriple. Il souffle tout à coup à 50, 60 kilomètre/heure. Avec le vent vient aussi le sable. C'est là que les choses se compliquent. Les grands foulards que portent les gens du désert ne servent pas qu'à protéger du soleil. Chapeaux et visages sont vite recouverts, les caméras vite rangées. Heureusement que vous portons des verres fumés. Chemin faisant, une vingtaine de moutons sont croisés: ils forment un bloc compact, la tête tournée vers le centre, pour se protéger du sable. Un signe que même des touristes comprennent. Après deux heures de marche, plus rapide, me paraît-t-il, nous debarquons dans une ferme en bordure d'un village. Omar et sa famille y vivent. La halte est pour prendre de la nourriture pour les dromadaires. Le sable est partout.
C'est là que Marie et moi décidons d'arrêter l'aventure. Il n'y a plus de plaisir à y avoir. L'alternative est de passer le reste de la jounée et la nuit sous la tente, en espérant que demain sera un jour meilleur, si Allah le souhaite. Nous repartons donc pour une dernière chevauchée d'une demie heure pour attendre la jeep qui nous ramène à l'hôtel où la douche chaude et la bière glacée nous attendaient le pied ferme.
Il reste que l'expérience de la tempête de sable, même si elle a écourté notre aventure de vingt-quatre heures, a été enrichissante. Pour le reste, ce fantasme du désert s'est avéré inoubliable. Omar, Rocket et Robert nous ont révélé plusieurs de leurs secrets, nous avons appris quelques mots du langage dromadairien, constaté toute cette vie inusitée en terre aussi aride et partagé plusieurs heures avec un ciel étoilé d'une splendeur inouïe. Nos fesses endolories s'en remettront vite et le bruit des pets de chameaux s'estomperont avec le temps.
jcsh
Jour 46
Jour 46
Ohé du navire
Rédiger ce journal de voyage, mais pourquoi au
juste...?
Pour moi d'abord et avant tout. Pour donner forme
aux mille images, pour offrir un port d'attache à ces idées qui virevoltent
dans ma tête, pour rassurer ma mémoire qui s'effiloche, que ce qui la bouscule
ne glissera pas dans un oubli abyssal, pour le pur plaisir de jouer avec les
mots, pour rattraper par le bout de la queue une impression fugitive.
Mais sous la forme actuelle d'un blogue, j'écris
aussi pour dire, pour raconter aux curieux de savoir, pour traduire le
battement de la vie d'ici, pour partager mes surprises et mes découvertes, pour
me dire, sans tambour ni trompette.
Et c’est ainsi qu'à la suite de chaque publication,
j'attends. Un peu déçue sans doute, je réalise que je soliloque ou presque. Mes
mots ne rebondissent pas souvent. Ils se perdent quelque part dans l'espace
sidéral. Peut-être s'accrochent-ils à une poussière d'étoile, peut-être se
pulvérisent-ils comme un pet de chameau, peut-être sont-ils aspirés par une
tempête de sable?
Mais lorsqu’ils rebondissent, alors là, c'est la
joie. Il est tellement plus agréable de jouer à deux, ou à douze, ou à
soixante-quatre. Cela revient à la question fort intéressante du rapport
qu'entretient le lecteur avec l'objet et/ou avec l'auteur.
Mais encore, vais-je écrire à Milan K pour lui dire
que j’ai trouvé dans une librairie d'Udaipur son La vie est ailleurs. Que cette petite merveille m'a
accompagnée dans le désert du Thar et qu'il ajoute encore plus d'élan à mon
admiration de sa plume et de son génie? Lui dirai-je que je l'ai cherché, lui
et son insoutenable légèreté dans les rues de Prague? Lui enverrai-je dans un
paquet bien ficelé, une vingtaine de récepteurs d'appareils téléphoniques
subtilisés dans les endroits publics? Et pourtant...
Mais qui sait... peut-être que M, que je connais et
qui connaît quelqu'un qui connaît Milan K, lui transmettra ce scribouillage et
que, séduit par tant d'admiration, il me répondra... Jouissive attente s'il en
est une, exactement comme je les aime!
En fait de résilience du fantasme, c'est assez bien
réussi n'est-ce pas? Un mot de Milan K remplace à merveille le fantasme du
safari à dos de chameaux entre des dunes blondes. Mais en attendant... pas de
gêne. J'aime vous écrire.
Jour 45
Jour 45 Du fantasme au souvenir
Me promener à dos de chameau entre des dunes
blondes, sculptées au gré du vent, je vous le confesse, voilà bien un fantasme
que j'avais depuis des lustres. Et bien c'est fait. Ce fut court, mais intense,
deux jours, une nuit.
Coucher à la belle étoile, que dis-je, aux milliards
d'étoiles, le chameau en ombre chinoise découpant l'horizon, impayable! Au
rythme cadencé des pas de notre chamelier, nous avons foulé des kilomètres de
toundras, une plaine à perte de vue. Juchée sur mon Rocket, mon regard se perd dans cette
immensité aride. Je me berce, devant, derrière, devant, derrière, devant,
derrière. Je suis un balancier sans fin. Les dunes rêvées? Elles y sont, mais
une mince bande seulement, plutôt courte d'ailleurs. Mais cela, nous le savions
déjà. Notre circuit n'est pas celui réputé comme touristique.
Et voilà qu'hier, en tout début d'après-midi, le
vent s'est levé. Pas la petite brise qui jusque-là nous ventilait les naseaux.
Oh que non! Le vent, le vrai, le puissant, l'impardonnable. L'espace lui
permettant de prendre son souffle était bien disponible. Aucune barrière pour
le ralentir sauf notre petite caravane de deux chameaux et notre intrépide
chamelier qui, bien sûr, en avait vu d'autres.
Mais le vent, on connaît bien. Les bourrasques de
l'hiver qui tordent la maison de StPB et qui balayent pendant des heures les
champs qui l'entourent, ou celui qui s'engouffre le long de la rue Turnbull à
Québec... On sait quand il se lève, mais surtout pas quand il se calme. On a
donc décidé de couper court à l'aventure et de rentrer au bercail protégé de
notre hôtel de Jaisalmer.
Comme pour tous les fantasmes, la cruelle réalité
nous ramène vite sur terre. C'est dur cette vie de désert, mais ces plaines
arides restent très habitées. Omar, notre chamelier, a son cellulaire, nous
avons croisé un bon nombre d'expéditions comme la nôtre, les petits villages se
pointent régulièrement, les petits troupeaux de chèvres et de moutons broutent
un peu partout et, croyez-le ou non, le soir de notre campement, nous avons été
gratifiés de la visite d'un couple de bohémiens qui faisaient une petite
tournée de flûte et de danse.... On n'arrête pas le progrès et surtout pas
l'ingéniosité de l'offre touristique. Et finalement, preuve irrévocable de la
présence humaine, les innombrables sentiers et routes qui s'entrecroisent dans
cette vaste plaine, sans parler des plus innombrables bouteilles de pastique
vides qui polluent le décor...
Toute en beauté, toute en splendeur, toute en
émerveillement, cette expédition dans le désert du Thar? Bien sûr que non! Nous
sommes en Inde n'oubliez pas. Rien n'y est que magnificence. Toujours et sans
répit, les contrastes s'y côtoient et s'y entremêlent. Le désert n'y fait pas
exception. La magie du fantasme s'est estompée. Il n'en reste maintenant que la
cadence des souvenirs balayés par le vent fou du désert et incrustés de sable
blond.
Campagne indienne
C'est un peu à regret que nous avons quitté Udaipur, ville fort jolie et des plus accueillante. Certainement la plus belle cité que nous avons rencontré en Inde. Le guide Lonely Planet indique de prendre un taxi pour se rendre à ... où une forteresse grandiose nous attend de même que temple jaïn remarquable, tout à côté. Le guide reste vague toutefois pour repartir de là, il dit simplement que cela se situe sur la route de Jodhpur. Là était le point sensible...
Quoi qu'il en soit, la balade en taxi (30$) nous a pris deux heures et demie: nous avons sillonné par des chemins de travers la campagne rajasthanaise. Parsemée de petits villages et d'installations presque médiévales, comme les puits mus par des animaux, qui extraient l'eau grâce à une roue où sont fixées des contenants de céramique. Les petites routes d'à peine quatre mètres de large serpentent rapidement le flanc des montagnes puis y grimpent allègrement en zigzagant sans cesse pour en épouser les versants. Inutile de dire que les paysages sont exceptionnels: falaises vertigineuses, hordes de singes qui se tiennent le long de la route où, comme par miracle, des fruits et légumes ont été déposés là pour eux. On soigne les bêtes ici, le principe de la réincarnation est bien vivant. Nous commençons aussi à voir plus de dromadaires, placides et fiers, soit attelés à une charrette ou soit sellés pour accueillir un passager.
Enfin nous arrivons à ... . Le voyage en valait la peine. Il s'agit d'une forteresse érigée au seizième siècle par les maharajas afin qu'ils puissent s'y réfugier en cas d'attaques sérieuses. Et ils étaient bien protégés: à 1 100 mètres d'altitude, les murs de pierres d'au moins huits mètres de hauts courent sur 38 kilomètres, ceinturant une zone montagneuse où s'espacent des dizaines de temples et autres constructions. La citadelle principale n'en finit plus de s'élancer vers le haut et permettait aux souverains de s'y installer confortablement.
Une heure plus tard, toujours à bord de notre taxi mené de main de maître par Ratdiz, nous laissait dans un guest house rustique, un peu trop peut-étire, mais fort sympathique. Le temple jaïn est en effet remarquable: construit au quinzième siècle, il offre une vingtaine de salles où 1 444 colonnes sculptées, toutes différentes les unes des autres, supportent les plafonds et toits de marbre. Ah oui! Tout cela est rutilant parce que construit en marbre blanc. Une pure merveille. Le retour au guest house s'est fait en marchant une vingtaine de minutes sur la route. Nous avons été malheureusement accompagné un bon bout par quatre adolescents particulièrement désagréables, des petits baveux, en somme. Mais enfin, il s'agit de notre première expérience de la sorte.
Le lendemain, après le petit-déjeuner, nous avons pris une marche le long du lac qui jouxte à la propriété, à la recherche d'oiseaux, que nous avons trouvé facilement et photographiés.
Trois heures de route nous attendaient par la suite, toujours en taxi (45$) jusqu'à Jodhpur. Contrairement à la veille, nous avons parcouru la route sur un terrain plat, sur des routes très mauvaises et aussi étroites pour la moitié du trajet. C'est cela que le Lonely Planet n'expliquait pas, comment se rendre à Jodhpur.
jcsh
Quoi qu'il en soit, la balade en taxi (30$) nous a pris deux heures et demie: nous avons sillonné par des chemins de travers la campagne rajasthanaise. Parsemée de petits villages et d'installations presque médiévales, comme les puits mus par des animaux, qui extraient l'eau grâce à une roue où sont fixées des contenants de céramique. Les petites routes d'à peine quatre mètres de large serpentent rapidement le flanc des montagnes puis y grimpent allègrement en zigzagant sans cesse pour en épouser les versants. Inutile de dire que les paysages sont exceptionnels: falaises vertigineuses, hordes de singes qui se tiennent le long de la route où, comme par miracle, des fruits et légumes ont été déposés là pour eux. On soigne les bêtes ici, le principe de la réincarnation est bien vivant. Nous commençons aussi à voir plus de dromadaires, placides et fiers, soit attelés à une charrette ou soit sellés pour accueillir un passager.
Enfin nous arrivons à ... . Le voyage en valait la peine. Il s'agit d'une forteresse érigée au seizième siècle par les maharajas afin qu'ils puissent s'y réfugier en cas d'attaques sérieuses. Et ils étaient bien protégés: à 1 100 mètres d'altitude, les murs de pierres d'au moins huits mètres de hauts courent sur 38 kilomètres, ceinturant une zone montagneuse où s'espacent des dizaines de temples et autres constructions. La citadelle principale n'en finit plus de s'élancer vers le haut et permettait aux souverains de s'y installer confortablement.
Une heure plus tard, toujours à bord de notre taxi mené de main de maître par Ratdiz, nous laissait dans un guest house rustique, un peu trop peut-étire, mais fort sympathique. Le temple jaïn est en effet remarquable: construit au quinzième siècle, il offre une vingtaine de salles où 1 444 colonnes sculptées, toutes différentes les unes des autres, supportent les plafonds et toits de marbre. Ah oui! Tout cela est rutilant parce que construit en marbre blanc. Une pure merveille. Le retour au guest house s'est fait en marchant une vingtaine de minutes sur la route. Nous avons été malheureusement accompagné un bon bout par quatre adolescents particulièrement désagréables, des petits baveux, en somme. Mais enfin, il s'agit de notre première expérience de la sorte.
Le lendemain, après le petit-déjeuner, nous avons pris une marche le long du lac qui jouxte à la propriété, à la recherche d'oiseaux, que nous avons trouvé facilement et photographiés.
Trois heures de route nous attendaient par la suite, toujours en taxi (45$) jusqu'à Jodhpur. Contrairement à la veille, nous avons parcouru la route sur un terrain plat, sur des routes très mauvaises et aussi étroites pour la moitié du trajet. C'est cela que le Lonely Planet n'expliquait pas, comment se rendre à Jodhpur.
jcsh
Inscription à :
Articles (Atom)