vendredi 9 mars 2012

Le sable

Il est 10h30 et la jeep nous a laissé à quarante kilomètres au sud-ouest de Jaisalmer, sur le bord de la route. Le Pakistan est à trente minutes. Un petit homme, Omar, et deux dromadaires endimanchés et prêts pour le voyage nous attendaient. Omar pourrait être un personnage dans une aventure de Tintin. Omar mesure cinq pieds, est coiffé de son petit bonnet de musulman et, sous sa veste brune et son long châle carrelé noir et bleu, porte une jupe blanche. Omar se tient dans des souliers "loafer" sans chaussettes. Son oeil droit se fiche de l'autre. Omar a 27 ans, mais on lui en donnerait 45, ridé et buriné par le soleil, c'est un fils du désert de Thar.

Je lui demande où se cache son chameau, il me répond, souriant, qu'il aime marcher.

La monture de Marie se nomme Rocket, est brune et vient d'avoir cinq ans. La mienne s'appelle Robert, est blonde et a trois ans. Ce sont des mâles car les femelles ne sont pas assez fortes pour transporter des humains lestés de bagages, de nourriture, de containers d'eau, de couvertures et de tout l'attirail pour faire la cuisine. Nous enfourchons les bêtes. Tchik! Tchik! Elles se relèvent, et c'est parti. Et valse la vague, à plus de deux mètres du sol aride. Il faut prendre le rythme: un petit peu en avant sur la gauche, puis en arrière, un petit peu en avant sur la droite, puis en arrière, mille fois à l'heure. Ça use petit à petit le haut des fesses, même si les selles sont confortables.

Jouqués si haut nous pouvons bien voir le paysage. Le désert de Thar n'est pas le Sahara. Les grandes plaines sont couvertes d'herbe jaune, de buissons verts épineux, d'arbustes squelettiques, de quelques arbres non moins épineux. Et il y a bien sûr le sable blond dans lesquelles ces racines réussissent à s'immiscer. On se demande comment la végétation peut bien croître dans un tel environnement qui reçoit, dans les bonnes années, cinquante milimètres de pluie. Des dizaines de sentiers se croisent et se décroisent, des petits groupes de chèvres broutent on se sait trop quoi, des oiseaux s'envolent sur notre passage, quelques rapaces planent dans le ciel sans nuage, plus loin une poignée de paysans sont aperçus, courbés sur cette terre inhospitalière.

Heureusement, une brise omniprésente adoucit la chaleur qui doit friser les 32-35 degrés. Nous avançons à la vitesse du pas d'Omar, infatigable, qui tient la corde de Rocket auquel est attaché Robert. Une caravane quoi! Une caravane qui s'arrête à un hameau pour puiser de l'eau ou qui stoppe plus loin à une mare boueuse pour faire boire nos véhicules. Il ne faut pas être pressés, tit train va loin...

À treize heures, nous arrêtons pour le dîner. Il s'agit d'un lit d'une ex-petite rivière, complètement asséchée. L'ombre de quelques arbres nous donnera un semblant de fraîcheur. Omar nous étend deux couvertures "pour se reposer" pendant qu'il dételle Rocket et Robert. Tout nus, ils ont aussi fière allure. Omar leur entrave les pattes avant et les laisse aller brouter ce qu'ils peuvent de leur drôle de démarche, à petits pas de souris. Voir Omar préparer le repas est une école en soi. Trois pétites pierres au centre desquelles un feu minuscule est allumé grâce à des branchages secs permettra d'abord le rituel du "tchaï", un thé lacté au gingembre et très sucré, que l'on pourrait nommer boisson nationale de l'Inde. Les légumes sont ensuite cuits dans leur sauce épicée puis réservés, pendant qu'Omar mélange la farine et pétrit les tortillas de pain qui accompagneront le repas. Ça pique et c'est bon. Bananes et oranges complètent le menu. Quatre garçons arrivent de je ne sais où, leur chemise bleue indique une école. Ils ont cueilli en chemin des petits fruits qui rappellent un peu des cerises. Omar leur donne le reste du repas, qu'ils dévorent avec joie. Il faut nourrir aussi les personnes que l'on rencontre quand on le peut.

Avant d'aller chercher les chameaux, Omar fait sa prière, tourné vers l'ouest, car ici La Mecque est par là. "Djé, djé" et les bêtes s'accroupissent pour l'habillage. Il est 4h00, la grosse chaleur est passée. "Tchik tchik" et nous revoici répartis, guidés par notre petit musulman. C'est ainsi que nous arrivons aux dunes de sable blond, deux heures plus tard. Un espace qui aurait pu être plus vaste, mais qui nous permet quand même d'avoir un aperçu de ce que devrait être un vrai désert saharien. Nous établissons le campement pour la nuit. Le feu, le tchaï et le repas deviennent routine. Juste avant le coucher du soleil arrivent, à pied, un homme et une jeune fille, richement parés. Pour quelques roupies il sortira sa flûte et elle dansera en chantant un moment. Ce sont des gitans qui sont à la recherche des touristes férus de désert. C'est qu'il doit y en avoir des touristes dans le désert pour qu'ils en fassent commerce. Et vlan pour le romantisme!

La nuit est longue et pas très confortable, le sable reste quand même dur pour les côtes. Mais le coup d'oeil sur les millions d'étoiles en vaut la peine, avec, en toile de fond, Robert et Rocket qui se découpent sur l'horizon. On en oublie même les énormes scarabées noirs qui griffent le sable dans leur incessante quête.

Le soleil se lève à 7h30, splendide. Une fois le petit déjeuner ingurgité, la prière d'Omar chose du passé, les photos des dunes prises, les chameaux scellés et nous dessus, la caravane se remet en route. Nous arrêtons à un puits presque médiéval où une poignée d'hommes enturbanés s'affairent à en extraire le précieux liquide. Des bovidés, des chèvres et des moutons attendent leur tour. J'aide les hommes à tirer l'eau, au sens littéral du terme. À trois, nous tirons la corde qui est reliée à une outre faite de caoutchouc de chambre à air, me semble-t-il. Il faut tirer au moins quinze mètres pour ramener à la surface la chose et la vider dans des bassins de ciment où s'abreuvent les bestiaux. Nos chameaux auront aussi leur ration.

Un repas, copie carbone des autres, suivra. Quatre antilopes nous font l'honneur de leur présence. C'est autour de14h00 que la brise, toujours présente redouble, et même retriple. Il souffle tout à coup à 50, 60 kilomètre/heure. Avec le vent vient aussi le sable. C'est là que les choses se compliquent. Les grands foulards que portent les gens du désert ne servent pas qu'à protéger du soleil. Chapeaux et visages sont vite recouverts, les caméras vite rangées. Heureusement que vous portons des verres fumés. Chemin faisant, une vingtaine de moutons sont croisés: ils forment un bloc compact, la tête tournée vers le centre, pour se protéger du sable. Un signe que même des touristes comprennent. Après deux heures de marche, plus rapide, me paraît-t-il, nous debarquons dans une ferme en bordure d'un village. Omar et sa famille y vivent. La halte est pour prendre de la nourriture pour les dromadaires. Le sable est partout.

C'est là que Marie et moi décidons d'arrêter l'aventure. Il n'y a plus de plaisir à y avoir. L'alternative est de passer le reste de la jounée et la nuit sous la tente, en espérant que demain sera un jour meilleur, si Allah le souhaite. Nous repartons donc pour une dernière chevauchée d'une demie heure pour attendre la jeep qui nous ramène à l'hôtel où la douche chaude et la bière glacée nous attendaient le pied ferme.

Il reste que l'expérience de la tempête de sable, même si elle a écourté notre aventure de vingt-quatre heures, a été enrichissante. Pour le reste, ce fantasme du désert s'est avéré inoubliable. Omar, Rocket et Robert nous ont révélé plusieurs de leurs secrets, nous avons appris quelques mots du langage dromadairien, constaté toute cette vie inusitée en terre aussi aride et partagé plusieurs heures avec un ciel étoilé d'une splendeur inouïe. Nos fesses endolories s'en remettront vite et le bruit des pets de chameaux s'estomperont avec le temps.

jcsh

1 commentaire:

  1. C'est vraiment rafraîchissant de vous lire! Je sais pas si vous êtes déjà revenus, mais j'aime votre style. Continuez!

    Pascal fils de Pierre et Lili

    RépondreSupprimer