samedi 24 mars 2012

Les escaliers

La prochaine pierre plate arrive aussi vite que la précédente. Tik! Tik! Tik! Le bruit sec du carbure, au bout des bâtons, tinte au rythme de l'escalier. Pierre après pierre. Tik! Une poussée du bras, le pied va chercher la pierre suivante, gauche, droite, gauche, droite. Au début, après 50 ou 60 marches je m'arrête pour reprendre mon souffle, on n'est qu'à 1 800 mètres d'altitude. Sept jours plus tard, à plus de 2 000 mètres, au moins 150 marches se succèdent, le pouls monte à 120, une minute plus tard est descendu à 94 et prendra une autre minute pour se stabiliser à 76. La forme est bonne.

Combien de milliers de marches, plus ou moins régulières avons-nous gravies et descendues en ces onze jours de sentier des Sanctaires de l'Annapurna? Des pierres plates, d'autres arrondies, d'autres totalement irrégulières, du gravier, de la terre, de la boue, des racines, parfois de la neige, et encore des pierres.

Autour, le paysage avance doucement. Les arbres couverts de mousse, humides, succèdent aux pentes vertigineuses, abruptes, couvertes de forêt ou de minces bandes de terres superposées en espalier où croissent riz, blé, légumes. En bas, tout en bas, 500, 800 mètres plus bas, une ligne tortueuse fraie son chemin, le lit d'une rivière un jour gonflée par la mousson serpente, tout en bas. En haut, le ciel. Juste en dessous, les montagnes de l'Annapurna, placides et immaculées, enneigées à jamais, comme une dentelle spectaculaire suspendue dans le vide, un rideau délicat mais aussi effrayant de hauteur et d'aridité. En haut, à 8 125 mètres, il y a la neige et la pierre. L'oxygène y a presque disparu. Ici, entre le bas et le haut, il en reste encore, de moins en moins à cause des pierres que nous laissons derrière nous, marquées par le bruit du carbure qui s'y pose.

Les ponts suspendus, au tablier de bois incertain, se balancent et sursautent sous les pas au rythme maintenant irrégulier. Combien? Sept ou huit peut-être, impliquant sept ou huit descentes de montagnes et sept ou huit remontées sur ces escaliers de pierres, régulières ou non.

Et puis une gorgée d'eau, moment de contemplation. Le pouls redescend à 84, après à 76. Les oiseaux se passent le diapason et la chorale accompagne les baguettes du marcheur. Les rythmes sont différents, Marie et Dal, notre guide/ange gardien, suivent pas trop loin. Les genoux de ma blonde tiennent toujours le coup.

Notre quête croise celles de dizaine d'autres marcheurs. Les sourires et les salutations sont d'usage, chacun étant solidaire des autres. Les hameaux se succèdent, le sourire des enfants s'accompagne du traditionnel "chocolate?". Ces gentils montagnards tribaux qui tirent en bonne partie leur subsistance de notre présence sur leur territoire nous regardent défiler, espérant une halte en face de leur échoppe, leur restaurant ou leur asile bienveillant. Mais la marche continue.

Les maisons aux toits de tôle bleue se dessinent mieux que tout à l'heure. Quelques centaines de marches de pierre avalées de plus et ce sont des murs de pierre qui nous accueillent, ouvrent leur portes bancales, révèlent des deux couchettes où nous pourrons refaire nos forces, protégés par ce rideau fleuri délavé. Une autre nuit froide au cours de laquelle on espère ne pas se lever à 3h30 pour se rendre à la toilette, à l'autre bout de la galerie. Mais non! À 4h10, de retour dans son sac de couchage, je pense à la pierre et au chant des oiseaux et à la neige éternelle et aux ponts suspendus et aux courageux porteurs et aux lisières de blé et aux drapeaux bouddhistes et aux pentes abruptes et aux tik tik des bâtons et aux sourires des Népalais et aux genoux de Marie et au plaisir de marcher, demain. Et puis, tout à coup, je rêve...

jcsh

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