Jour 26
Paresse doucereuse
Perchée sur le haut de l'escarpement rocheux
d'environ sept mètres, première arrivée, je suis installée à une table donnant
sur la mer et j'observe les barques des pêcheurs déjà à l'œuvre. Elles sont
sept à faire la navette, à s'échanger du gréement et des passagers. Elles
s'entrecroisent, se regroupent et repartent direction nord. Les filets orange
sont maintenant installés. La suite est comme un documentaire silencieux. Le
grand cercle du filet qui est déposé à la mer, les jeunes qui sautent à l'eau
pour faire dieu sait quoi, la petite barque qui se tient en périphérie, la
grande avec dix-sept pêcheurs, qui laissent glisser les mailles affamées, les
aigles marins, une vingtaine qui délirent sur le festin offert, le filet qui
est ramené doucement, les centaines de petits poissons argentés qui seront
ultimement déversés dans la petite embarcation. Et le manège qui reprend,
encore et encore. Les corneilles aussi admirent. La marée est toujours haute ce
matin et camoufle la plage tout en bas.
Il est 7 h, le fond de l'air est doux. Une petite
brise, toute frêle caresse mon bras. La lumière s'installe rapidement. Le gris
bleu de l'horizon se dépose sur le bleu-vert de la mer. La puissance de
l'infini règne dans toute son immensité. À
la terrasse de l'hôtel voisin, six femmes et leur
maître circulent en cercle en s'agenouillant presque à chaque pas.
Les voilà maintenant qui marchent mais avec les
mains déposées au sol, les fesses en l'air. Et maintenant, c'est au tour du
rituel du salut au soleil. Pas facile le yoga! G. serait folle de joie ici.
Enfin les vacances! Nous avons déposé nos pénates à
ce charmant hôtel de Varkaka, le Krishnatheeram. Le luxe total. Quatre jours de
repos complet. Ne rien faire d'autre que de lire, se bercer dans nos hamacs,
marcher un peu, écrire, et surtout regarder la mer. Reprendre notre souffle
avant notre prochain départ le dix-neuf pour l'Inde du Nord. Un autre pays
disent les voyageurs, une autre Inde très différente de celle-ci. Quelle
délicieuse pause. La fébrilité de la découverte est ici suspendue, presque. La
marée baisse rapidement. Maintenant, les vagues qui roulent vers moi laissent
un tapis d'écume blanche devant elles. Je reste suspendue à l'air du matin, je
n'ai rien d'autre à dire. Mon cerveau est en vacances. Il s'est enfui avec sa
muse.
Mais hier... ça alors, comme le dit si souvent le
copain P. croyez-le ou pas, j'ai été avalée par la magie hallucinante d'Emma
Donoghue et son livre "Room". Je vous le dis, je vous le jure, je n'ai de ma vie
jamais lu aussi vite les soixante pages du milieu. Mon cœur battait la chamade,
je fermais le livre pour respirer un peu, du vrai délire. En compétition pour
le Man Booker Prize
2010, le récit et son rythme et ses questionnements et son suspense sont
envoûtants. J'ignore s'il a été traduit mais l'anglais y est facile. Les mots
deviennent des créations libres. «Scared» et «brave» deviennent «scave», l'écran de la télévision devient
la caverne de Platon... Je vous le laisse découvrir. Attachez vos tuques! Mon
seul regret est bien que ce rythme ne soit pas maintenu jusqu'à la fin. La
vraie vie prend le dessus, mais l'intérêt subsiste. Ouf! je l'ai terminé hier
et il me trotte encore entre les neurones.
Je vous laisse donc, le soleil est au poste, il est
déjà 10 h30. Bonne nuit, don't let the bed bugs bite.
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